Les changements historiques dans la politique mondiale se produisent très lentement. Ce n’était pourtant pas le cas lorsque les États-Unis ont fait leur entrée sur la scène mondiale. Cela s’est produit assez soudainement en 1898, avec l’invasion de Cuba : la vieille Europe a observé la situation avec une anxiété palpable… Le Manchester Guardian, à l’époque, a rapporté que presque tous les Américains avaient fini par adhérer à ce nouvel esprit expansionniste. Les rares critiques sont « simplement moqués pour leur peine ». Le Frankfurter Zeitung mettait en garde contre « les conséquences désastreuses de leur exubérance » mais se rendait compte que les Américains n’écouteraient pas.
En 1845, un article non signé avait déjà donné naissance au slogan « Destinée manifeste », selon lequel l’Amérique avait pour vocation de s’étendre et d’occuper les terres des autres. Sheldon Richman, dans America’s Counter-Revolution, a écrit que cette dernière vision avait clairement « l’Empire en tête. »
Cette philosophie de la « destinée » a marqué un tournant par rapport à l’ancienne dynamique de décentralisation, et le début de l’impulsion américaine vers un rayonnement impérial totalisant qui lui a succédé. (Bien entendu, tout le monde n’était pas de la partie – les premiers conservateurs américains étaient de tendance burkéenne, c’est-à-dire qu’ils se méfiaient de l’ingérence étrangère).
Aujourd’hui, le tableau ne pourrait être plus différent. Les doutes et les réticences sont partout ; l’élan et la confiance de « l’Empire » se sont estompés. Les États-Unis ressemblent davantage à l’Empire austro-hongrois épuisé de l’époque précédant la Première Guerre mondiale, entraînant une série de nations alliées dans un conflit qui, à l’époque, s’est transformé en Première Guerre mondiale.
À l’époque, comme aujourd’hui, tous les États ont désastreusement sous-estimé la durée et la gravité du conflit – et ont mal interprété la nature et la signification des événements.
Aujourd’hui, la seule question enfantine et morale est de savoir si les bons et les justes peuvent rassembler la détermination nécessaire pour vaincre cette ambition maléfique.
Néanmoins, derrière cette caricature simpliste se cache la fin d’un cycle politique majeur, précisément au moment où le « business-model » occidental hyper-financiarisé se fissure. En bref, l’obscurcissement narratif (« Nous sommes en train de gagner ») cache des risques (tant politiques qu’économiques) dont les dirigeants occidentaux semblent incapables (ou peu désireux) de saisir la gravité. (suite a litre)