Cet article est une seconde partie du même titre dans lequel nous nous efforçons de proposer des pistes de réflexions susceptibles d’améliorer le système actuel qui détermine le financement des pays en développement.
Pour ce faire, nous nous basons sur la proposition de l’économiste Anglais J.M.Keynes, qui, lors des accords (1) de Bretton Wood (1945), mettait en avant un système monétaire international qui permettrait de régler les déficits commerciaux entre les pays.
Les bases d’un nouveau système s’appuyant sur une ancienne théorie et une nouvelle technologie : Bancor (Keynes) & Blockchain
Tel que nous l’avons montré dans la première partie, un pays peut laisser sa monnaie se déprécier pour redevenir compétitif (2). Cependant, pour les pays en développement, il est très difficile d’avoir un tel levier d’ajustement compte tenu du faible niveau de financiarisation (3) de leurs économies. Ils sont de ce fait contraints de s’endetter (avec des taux très élevés) car cela constitue la seule issue possible. L’autre possibilité serait de compresser la demande interne, mais cela n’est viable que sur du court terme. De plus, du fait de la forte interaction avec les pays développés, ces derniers pourraient tout aussi compresser leurs demandes au même titre que les développements. La conséquence serait une baisse de la demande au niveau national comme au niveau mondial, qui aura comme résultat des tensions au niveau mondial (hausse du chômage, baisse du pouvoir d’achat …).
Pour contourner cette situation que nous décrivons, il faut revenir sur l’une des propositions (4) de l’économiste anglais Keynes lors des accords de Bretton Woods en 1945. Cette proposition repose sur la création d’une monnaie supranationale appelée « Bancor (5) » qui serait utilisée dans les échanges internationaux afin de rétablir l’équilibre entre les balances commerciales des pays. Le cours du Bancor serait déterminé en fonction des réserves d’or (indexation physique), permettant ainsi d’exprimer le prix de chaque devise en Bancor. Cela aurait comme effet d’éviter toute initiative négative d’un État dont le but serait d’ajuster sa demande interne à partir d’un mécanisme de dévaluation de sa devise. Cette proposition de Keynes suppose qu’un pays n’est pas toujours responsable de son déficit. En effet, ce déficit peut également provenir d’un excédent d’un autre pays avec lequel il a des échanges de flux de marchandises. Il est difficile de savoir si c’est le pays déficitaire qui a été trop dépensier ou l’excédentaire qui ne l’a pas été pour des raisons que nous avons expliqué dans la partie 1 de cet article. En ce qui concerne les primes de risque (taux d’endettement), les créanciers institutionnels se basent naturellement sur cette situation macroéconomique pour exiger un niveau élevé des taux d’intérêts sans pour autant s’intéresser au mécanisme de formalisation de ces déficits. L’objectif du Bancor est alors de corriger ces erreurs et de mettre en place un modèle plus équitable dans la représentation macroéconomique de chaque pays. A cette fin et compte tenu des attentes que chaque pays aurait sur cette monnaie supranationale, Keynes propose tout d’abord que le Bancor soit géré par une institution internationale acceptée par tous les pays, qui aurait à ce titre un rôle similaire à une Clearing House qui fixerait les prix de chaque devise en Bancor, validerait et contrôlerait le compte de chaque pays en Bancor de telle sorte que si un pays dépense plus que ce qu’il gagne, son compte en Bancor sera négatif, et inversement.
Puisque les changes sont fixes mais ajustables, un déficit commercial ne va pas nécessairement entrainer une chute de la valeur de la monnaie nationale, et de fait n’aura plus d’impact significatif sur les taux d’endettement d’un pays. Mais si ce déficit perdure dans le temps et dépasse un montant (seuil fixé), une dépréciation de la valeur de la monnaie sera décidée en concertation avec les autres pays. Cela permet d’avoir des taux de change fixes mais que l’on peut ajuster régulièrement car ils considèrent plusieurs autres grandeurs.
Outre ce point sur la devise, Keynes propose aussi d’instaurer une taxe entre les pays, notamment ceux ayant des déficits qui durent. L’objectif de cette taxe est d’inciter ces pays à rééquilibrer leurs comptes, avec une meilleure gestion des dépenses publiques par exemple. De même, une taxe sera aussi instaurée pour le pays avec des excédents qui perdurent afin de les inciter à les dépenser. Il y a donc un double objectif dans cette taxe qui permet d’une part, d’éviter une contraction de la demande au niveau mondial, et de l’autre part de ne plus faire peser l’ajustement vers les pays en difficulté au travers de nouveaux emprunts.
L’application de ces propositions sur la taxation a aussi un rôle barrière, dans le sens où elle désincite les pays à se tourner vers le commerce international pour écouler leur excédent commercial. Ils sont alors informés que s’ils le font, ils auront un solde positif en Bancor qu’il faudra écouler dans les années à venir, sinon une taxe y sera appliquée. Les montant prélevés sur cette taxe pourraient contribuer au financement des projet climatiques vers des pays où cela serait nécessaire par exemple.
Ci-dessous une représentation (6) schématique du Bancor tel qu’imaginé par Keynes.

Bien que nous ayons montré l’intérêt que le Bancor pourrait avoir dans la stabilité des échanges entre pays, il reste cependant quelques zones d’ombres qui nécessitent d’être précisées.
Lorsque cette proposition avait été formulée, la technologie n’était pas autant développée qu’actuellement. Il était alors difficile d’imaginer avec précision un tel système, et plus particulièrement sur la partie fiscale (taxe). Qui doit gérer ? Quel montant taxer ? Comment s’assurer que les soldes déclarés par un pays sont justes ? Comment s’assurer qu’une marchandise n’a pas été achetée sur un marché noir ? Quel contrat juridique mettre en place pour cadrer un tel système ? Toutes ces questions auxquelles Keynes n’avait pas les réponses peuvent être résolues aujourd’hui car nous disposons de solides technologies en ce sens, dont une en particulier : la Blockchain.
La Blockchain constitue une nouvelle solution technique et novatrice dans les transactions financières : face à la contrainte ‘’technique’’ rencontrée par Keynes lors de la proposition du Bancor, la Blockchain vient y répondre car son modèle de validation des registres par des nœuds (full node), garantit la robustesse des engagements (surtout en matière fiscale).
L’utilisation des smart contracts pourrait faciliter et rendre moins coûteux les échanges entre pays, une fois que les conditions de paiement seront clairement définies et respectées. En clair, pas de possibilité de fraude.
La Blockchain conduit implicitement vers une gouvernance publique avec plus de transparence : une des raisons qui explique la forte prime de risque exigée par les investisseurs sur les titres des pays en développement, est la faible visibilité de la gestion des finances publiques. Sur ce point, la Blockchain peut éliminer les limites de l’architecture du système actuel pour prévenir la fraude. Les transactions dans la Blockchain sont visibles par tous les participants, et les déclarations politiques et contrats originaux sont très difficiles à modifier. Le protocole de consensus garantit qu’en l’absence de tout organe central de gouvernance, toute modification de la base de données se fait à un rythme acceptable et n’affecte pas l’intégrité des données.
La Blockchain peut minimiser les falsifications, les altérations de documents ou de contrats, ainsi que les réservations multiples car le registre distribué peut être partagé entre plusieurs
parties de confiance. C’est un peu similaire à la situation actuelle entre les banques commerciales et les banques centrales qui échangent des informations pour la création et la mise à jour des données client (7) avec plusieurs intermédiaires dans la chaine de valeur. Avec la Blockchain, la validation de l’authenticité, de la provenance et de la propriété des biens, informations clients et pays, seront encore plus simplifiées. La méthode de cryptage appliquée par la blockchain permet d’éviter la cybercriminalité où les informations personnelles identifiables peuvent être altérées par des entités tierces qui stockent ces données. La Blockchain peut éliminer les sociétés tierces de confiance tout en garantissant les informations partagées.
Arrivés au terme de notre réflexion, nous tenons à préciser que notre objectif est de contribuer à l’instauration d’un système économique international plus équitable et qui reflète l’internationalisation des échanges entre les pays. Il est tout de même important de rappeler que l’instauration d’un tel système nécessite une forte coopération (8) entre les états, à l’image des avancées de l’Union Européenne en matière de politiques environnementales (9) et monétaires (10). La coopération devra surtout porter sur la taxe applicable sur les excédents et déficits persistants. Il faut aussi un contrôle strict sur les flux des capitaux qui serait rendu possible avec la Blockchain, ceci afin d’éviter qu’un pays ne convertisse sa devise lorsqu’il anticipe la dépréciation de celle-ci. Aussi, bien que La technologie Blockchain est une innovation qui permet de résoudre plusieurs problèmes, elle reste relativement nouvelle et n’adhère pas aux lois existantes en matière de confidentialité, comme le règlement (11) général de l’UE sur la protection des données (RGPD). Il est par ailleurs possible dans le cadre d’un régime juridique public d’aboutir à une réglementation efficace pouvant être applicable à la Blockchain. A notre connaissance, il n’existe pas à ce jour de réponse réglementaire globale et universellement acceptable pour la Blockchain. Ce point ouvre la porte à d’autres réflexions qui viendraient rendre viable l’ensemble du système que nous proposons. Financial A.