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Mohammed VI, Paul Kagame, Patrice Talon : Trois pays, Trois styles distincts, le même continent

Le roi du Maroc et les présidents du Bénin et du Rwanda ont chacun imprimé leur empreinte personnelle sur ce à quoi ressemble un leadership éprouvé en Afrique. Nous décomposons leurs trois philosophies de leadership distinctes.

Moroccan king Mohammed VI (front seat) and the crown prince of Morocco, Moulay Hassan (back seat) leave a ceremony of allegiance, at the King’s palace in Tetouan, on July 31, 2018, to mark the 19th anniversary of Mohammed VI’s accession to the throne
© FADEL SENNA/AFP

Le modèle de gouvernance du Maroc est l’un des plus singuliers au monde en raison de son système de monarchie dans lequel le roi tire sa légitimité originelle de « Commandeur des fidèles ». En réponse à la tendance extrêmement dangereuse de l’islam radical, le roi Mohammed VI a eu l’intelligence et la clairvoyance de s’assurer que ce concept ainsi que le rite malékite pratiqué collectivement par les Marocains ne soient pas statiques, et a mieux fait que d’adopter une approche purement sécuritaire. politique de prévention et de répression de l’extrémisme.

Le Maroc est aux portes de l’Europe, ce qui est un atout mais aussi un risque puisque le vieux continent est en train de perdre sa religion tout en poussant la mondialisation et la modernité sur le royaume, ce qui, perçu comme une forme d’agression culturelle, ouvre la voie pour l’extrémisme. D’où la double stratégie mise en œuvre très tôt par le successeur du roi Hassan II pour moderniser l’islam et islamiser la modernité en s’appuyant sur sa position de Commandeur des fidèles.

Les démarches qu’il a prises étaient audacieuses, de la gestion des imams, des oulémas (érudits musulmans) et des mourchidates (chefs religieux féminins) et d’assurer leur formation, à la réorganisation de l’enseignement religieux, à la création d’un institut de formation et d’une fondation pour les oulémas africains axée sur la propagation du malikisme Afrique saharienne. Cependant, en fin de compte, ses initiatives sont cohérentes avec celles d’un roi qui – tout en déplaçant ses pions avec précaution – sait prendre des risques calculés, comme en témoigne sa gestion de la pandémie de COVID-19, qui a durement touché le Maroc, ou plus récemment son intervention à Guerguerat au Sahara occidental.

Alors que les forces de l’ordre marocaines continuent de démanteler une nouvelle cellule terroriste à peu près chaque mois, cette lutte éclairée pour un islam dynamique et innovant est de plus en plus devenue la priorité absolue du pays alors qu’elle cherche à empêcher une évolution vers une forme d’islam radicale et séparatiste. L’expérience du pays peut-elle être reproduite ailleurs ? Oui, un peu, mais Mohammed VI a un avantage qu’aucun autre dirigeant n’a ni ne peut rivaliser : une longue période de règne monarchique de droit divin.

Paul Kagame, le « patron »

Le président rwandais Paul Kagame à Kigali, le 23 mars 2019. (Vincent Fournier/JA)

Sa devise se résume en un mot et résume le mot d’ordre du pays qu’il préside depuis 20 ans : « agaciro » , qui signifie « dignité » en kinyarwanda. Pour Paul Kagame, les Africains doivent « comprendre que le temps du baby-sitting est révolu et que nous ne nous développerons jamais tant que nous ressentirons un besoin incessant de baby-sitters européens, américains, asiatiques ou autres ».

Après avoir hérité, en 1994, d’un pays en lambeaux et laissé ensanglanté par le génocide des Tutsi, l’ancien maquisard a été le moteur de la laborieuse reconstruction du Rwanda ainsi que du processus de réconciliation pour unir sa population divisée. Le président Kagame veut que son peuple trace sa propre voie sans laisser son comportement être dicté par le paternalisme occidental.

L’objectif principal de sa présidence est de faire émerger une Afrique qui défie les clichés de longue date en favorisant une gouvernance ambitieuse englobant les efforts de lutte contre la corruption, la responsabilité à tous les niveaux de gouvernement, une planification urbaine méticuleuse, la protection de l’environnement, la numérisation à tous les niveaux, la santé des initiatives d’assurance, des politiques économiques proactives, une diminution de la dépendance du pays vis-à-vis des institutions internationales et la promotion du tourisme et d’une économie basée sur les services.

Au fil des ans, le petit pays du Rwanda est devenu une force avec laquelle il faut compter en Afrique, universellement salué par les institutions internationales, les investisseurs et les partenaires pour l’amélioration de ses indicateurs de développement et sa modernisation rapide.

Cette transformation rapide a néanmoins suscité son lot de controverses. Un leadership sans compromis est la clé du style de gouvernance de Kagame, qui repose sur un engagement collectif du peuple rwandais que des forces extérieures remettent régulièrement en question. Pour les ONG de défense des droits humains et les dirigeants de l’opposition en exil, le « miracle rwandais » n’est rien de plus qu’un écran de fumée qui profite à une petite minorité d’apparatchiks aisés, tout en sacrifiant les libertés civiles des masses.

Le « patron » s’adresse systématiquement à ses détracteurs avec la même ligne de défense : « Nous sommes ouverts aux conseils sur nos progrès en tant que démocratie, à condition que ce soit de bonne foi, mais nous n’aimons pas qu’on nous dicte, et encore moins qu’on nous dise quoi fais.”

Patrice Talon, le directeur général

Le président béninois Patrice Talon dans son domicile à Cotonou, le 9 septembre 2020 (Vincent Fournier /JA)

En Afrique de l’Ouest, le président béninois Patrice Talon est un outsider et le sait bien. Son image d’« homme d’affaires en chef » est devenue sa marque de fabrique et même son slogan politique dès le début de sa candidature présidentielle qui l’a propulsé au pouvoir.

Il s’agit d’un homme qui, avant d’élire domicile au palais présidentiel en 2016, n’avait côtoyé des membres de l’élite politique que lorsqu’il était « de l’autre côté », c’est-à-dire un cadre du secteur privé.

Talon a fait fortune en capitalisant sur ses compétences en gestion et son flair pour les investissements et a décidé, à l’approche de la soixantaine, de devenir politicien. Tout comme dans le monde des affaires, il a progressé à pas de géant : le premier poste élu pour lequel Talon s’est présenté n’était rien de moins que le plus élevé du pays et il canalise son manager intérieur dans l’exercice de ses fonctions présidentielles.

À la manière d’un capitaine d’industrie, il a exposé « ses » objectifs ambitieux pour le pays dans un programme d’action gouvernemental qui est devenu la signature du président. Le Bénin doit « se révéler », comme le dit le mantra de Talon, et des réformes – fondées bien sûr sur le libéralisme économique puisqu’il croit fermement au développement par l’initiative privée – doivent être faites. Talon était prêt à tout, même si cela signifiait limiter le droit de grève des travailleurs et écraser un mouvement d’opposition plus ou moins mourant à l’approche de la fin de son premier mandat. Pour le président, si les indicateurs économiques sont bons, alors c’est l’essentiel.

Talon propose un modèle alternatif de gouvernance aux yeux d’une certaine frange de la population lasse d’une culture politique où les mêmes visages continuent d’apparaître mais avec des étiquettes différentes. Il s’énerve aussi parfois, et il est d’accord avec ça. Lors d’une interview avec nous fin septembre, Talon a déclaré qu’il avait « pris le risque d’être impopulaire » , mais ces derniers mois, il y a eu un changement notable dans la rhétorique et l’attitude de l’homme d’affaires en chef.

Contrairement à la promesse qu’il a faite lors de la campagne présidentielle de 2016, Talon devrait, sauf surprise, se présenter à sa réélection. Pour remporter un second mandat, et même si l’opposition semble avoir du mal à produire un challenger fort, il devra une fois de plus rallier les électeurs béninois. Après une vague de violences post-électorales en 2019, et le dialogue politique qui a suivi, Talon a noté que certains de ses alliés actuels, divisés entre les deux partis alignés sur la coalition du Mouvement présidentiel, pourraient décider de rompre avec le statu quo par peur. qu’ils pourraient perdre leur base ou leurs bastions locaux.

Après avoir entamé son mandat la tête haute, convaincu à l’époque qu’il ne briguerait pas un second mandat, Talon a opéré un virage rhétorique ces derniers mois. Sa grande tournée à travers le pays, portant toutes les marques d’une campagne pré-électorale, est le signe le plus évident de son revirement. Partout où il va, il est attentif à l’écoute et à l’empathie. Peut-être que sa conduite est un calcul politique alors qu’il envisage un autre terme. Ou s’est-il rendu compte qu’un président ne peut pas diriger un pays (exactement) comme une entreprise ?